Par Professeur Édouard BOKAGNE,
Historien
*Je poursuis la* *thématique de la relation de Paul avec* *les Européens. Cette fois, je la mets en* *rapport avec la prédication de l’évangile.*
Elle a vraiment commencé à la Pentecôte en l’an 27 ap. J.-C. (Les trois années antérieures étant de la constitution du fond des premiers apôtres).
Ce fut un grand moment, la Pentecôte.
C’est une fête annuelle juive qui clôt les rites de la Hannoukah, c’est-à-dire la commémoration de la Yetsiah Mitsraïm (la sortie d’Égypte) qui a fondé le peuple hébreu. Elle se tenait chaque année depuis des siècles. Après la résistance des Macchabées aux Grecs du IVe siècle av. J.- C., ces festivités gagnèrent tant en importance que la dynastie des Hasmonéens voulut y bâtir sa légitimité. C’est pourquoi ses rois entreprirent de rebâtir le temple de Salomon détruit en 509 av. J.-C. par les Babyloniens.
Le temple nouvellement bâti permit à la foi des Juifs de se renouveler. Un cercle théologique et politique se créa : le Sanhédrin, et il commença à encadrer la vie économique du peuple juif. On faisait deux grandes choses au temple : des affaires et du pèlerinage. Ça créa une certaine renommée qui fit de la Palestine, une terre de voyages à visiter. Ils venaient de loin pour ça, des gens avides de piété. Le récit biblique de la Pentecôte en donne une idée.
Il y avait sur l’esplanade du temple ce jour-là, des milliers, (près de 50 000 personnes) de toutes nationalités. Luc rapporte que 3000 adhérèrent à l’évangile. Ce devaient être des gens déjà prosélytes du judaïsme. À cette époque, pour être reçu dans l’Église, il fallait d’une manière comme d’une autre, avoir au préalable fricoté avec la religion juive. Et celle- ci n’était pas restée passive. Les Juifs allaient partout pour faire des prosélytes de leur foi.
Il y avait donc un fond orthodoxe de Juifs purs capables de remonter leur atavisme, sur lequel se superposant un autre, plus dilué, formé en grande partie de ces prosélytes, (ou de vrais Juifs ayant passé toute leur existence dans la diaspora), communément appelé hellénistes. Ceci permet de savoir que le mot générique «païen» par lequel les Gréco-romains étaient désignés – et qui est particulièrement péjoratif – ne s’appliquait pas à toutes les nationalités.
En particulier, il ne s’est jamais appliqué à une personne d’origine africaine dans la Bible ou dans les écrits de Paul où ce terme revient très fréquemment. (Il est vrai que les Africains n’y sont pas cités non plus très souvent). On en voit çà ou là. Paul fut pris, (à tort), pour un Égyptien qui conduisait une révolte contre Rome. Depuis l’insurrection des esclaves d’Italie partie de Capoue et menée par un gladiateur d’origine thrace nommé Spartacus en 73 av. J.-C., le mythe de l’invincibilité de Rome avait très sérieusement été écorné. Et les révoltes s’étaient multipliées).
Un natif de Cyrène (Carthage, actuelle Tunisie) a porté la poutre qui servit à crucifier le Christ. Les Phéniciens, c’est admis sans controverse aujourd’hui, étaient des nègres. D’ailleurs, un texte le mentionne dans l’Église : Simon Nigger (Simon le Nègre ou le Noir) Actes 13 : 1-3. Il y a l’intendant de la reine d’Axoum, la Kandakê (ou Candace) Amanishakété, fille d’Amanitéré et petite-fille d’Amanirenas. Axoum est en Érythrée aujourd’hui.
Ces nationalités qui apparaissent çà et là attestent que des Noirs sont connus du temps de l’évangile et s’y intéressent. Mais ce n’est pas tout. Leur pays est bien connu de la géopolitique de l’époque. Rome a affronté les Carthaginois lors des Guerres puniques. Elle a conquis l’Égypte de Cléopâtre. Des relations diplomatiques existent avec des États lointains comme Kush et Méroé (l’Éthiopie et le Soudan).
La Bible n’en parle pas davantage. Mais l’histoire est plus prolixe. Isaïe le prophète s’était déjà exclamé, en 730 av. J.-C., (soit huit siècles avant Paul), «le léopard peut-il plus changer ses taches que l’Éthiopien, la couleur de sa peau» ? Ça dit ce que nous savons tous aujourd’hui : que les Éthiopiens sont noirs. Je crois qu’il faisait davantage allusion aux Nubiens plus à l’ouest d’Éthiopie qui ont véritablement la peau comme du charbon.
Les Noirs existent donc ; sont Égyptiens, Phéniciens, Carthaginois, Nubiens et même tout simplement Juifs. Non seulement ils n’ont rien du caractère péjoratif attribué aux Gréco- romains, (on ne les appelle nulle part païens), mais aussi, l’apôtre des païens ne s’intéresse aucunement à eux. Quand bien même la Bible montrerait qu’ils ne sont pas encore chrétiens.
Quand-même, païens, ils dussent l’avoir été, (puisque certains chrétiens veulent tout de même le leur prêter), il faut à tout le moins des caractéristiques de leur paganisme. Ce n’est pas pour rien que, pour eux, les Gréco-romains étaient païens. Incirconcis ? (C’est la toute première d’entre-elles). Les Africains ne l’ont jamais été. Hérodote, le père de l’histoire, le déclare en parlant des Égyptiens. Mais partout en Afrique noire, la circoncision est attestée.
*Parlons de sexualité.*
Le regard juif pour les pratiques gréco-romaines est celui des Africains : un pincement de nez dégoûté. Et les Gréco-romains reviennent d’une manière ou d’une autre à leur impudicité ; quand même ils seraient chrétiens. Le Pape François vient encore de le démontrer. Mais c’est plus encore. Leur manière de rendre culte. Leurs étranges conceptions. Leur dédain de la nature. Leurs passions.
Sur cette question, c’est inévitable, Paul et ses compagnons allaient se fâcher. L’hostilité à ce ministère particulier était trop marquée. Marc a fini par le lâcher. Tant qu’à évangéliser, lui, avait mieux où aller : chez les Africains. Plus polis, plus réceptifs, civilisés, circoncis ; il posa ses valises à Alexandrie. Ils ne s’étaient pas fâchés parce que Marc refusait d’évangéliser. Il ne voulait pas évangéliser les païens : c’est-à-dire les Européens. Il préférait les Africains.
J’ai encore un dernier mot sur la question des nationalités que je vais aborder dans ma prochaine thématique.
Avant de conclure sur le rapport de Paul à l’Écriture…
Comme toujours, si vous le permettez.